M. Blais est directeur clinique pour le Canada français du Programme d’aide aux employés chez Morneau Sheppel. Alors que la Loi sur la santé-sécurité du travail demande d’éliminer le risque à la source, ce psychologue de formation m’a parlé d’un risque à prendre pour le bien d’autrui: celui de dire à l’autre qu’on s’inquiète pour lui, ou pour elle. Et que de l’aide existe quand ça ne va pas. N’ayons pas peur des mots qui parlent de santé mentale.
Via Prévention
On entend régulièrement que les psychologues sont débordés, en ces temps de pandémie. Comment gérez-vous cette période? Avez-vous reçu plus de demandes d’aide psychologique depuis mars 2020?
Bernard Blais
Nous avons connu deux phases. De mars à mai 2020, il y a eu une baisse des demandes. Les gens étaient préoccupés par des choses très terre-à-terre. Est-ce que je vais garder mon emploi? Comment organiser l’école à la maison? Je pense qu’aller chercher de l’aide psychologique, dans les premiers mois, n’était pas la priorité. À partir de la fin mai 2020 et jusqu’à maintenant, on est en augmentation par rapport au volume habituel. Quand les gens se sont rendu compte que la pandémie et les contraintes étaient là pour rester, ils ont senti le besoin de consulter. Les choses terre-à-terre étaient mises en place. Les thèmes des consultations sont toujours les mêmes, mais l’intensité a changé. On retrouve toujours les problématiques reliées à l’anxiété, aux symptômes dépressifs, aux relations de couples, au stress lié au travail. Les gens sont plus anxieux, les symptômes dépressifs plus présents. Cette intensité plus élevée est due à la pandémie.
V.P.
Y a-t-il néanmoins des thèmes spécifiques liés aux impacts de la pandémie?
B.B.
La crainte de perdre son emploi, les soucis financiers ou liés au comportement de leur ado. On a souvent des appels de parents qui disent que leur adolescent est taciturne et plus renfermé que d’habitude. Le fait de ne pas aller à l’école tous les jours le rend encore plus triste. Les problématiques se ressemblent, mais on y rajoute une couche pandémie qui rend les choses plus difficiles.
V.P.
Cette couche pandémie, est-ce l’incertitude?
B.B.
Je pense qu’il y a beaucoup de ça. Ce qui aide à gérer une crise, c’est de mettre des limites, des dates. En temps de pandémie, c’est très difficile parce qu’on ne sait pas quand ça va arrêter. L’information change, les vaccins arrivent, il y a des retards, certains semblent meilleurs que d’autres. Il est normal que l’information change, mais cela a un effet insécurisant chez les gens. Même si la certitude est négative, savoir que ça va être dur est plus facile à gérer que ne pas savoir.
V.P.
Est-ce que les consultations virtuelles, en vidéo ou par téléphone, sont aussi efficaces que les rencontres en personne?
B.B.
Il n’y a pas de différence en termes de qualité ni de satisfaction de la clientèle. Vous savez, nos services de télécounseling vidéo sont offerts depuis plus de dix ans, par téléphone depuis plus de vingt ans. Pour beaucoup de gens, indépendamment de la pandémie, échanger avec son clinicien, le soir, de la maison, au lieu de devoir se déplacer et faire garder les enfants, a beaucoup de valeur. Les ingrédients qui aident les clients, le bon conseil, l’empathie du clinicien passent très bien en vidéo et par téléphone.
V.P.
Si on voit un collègue se diriger vers une mauvaise pente, être déprimé, moins bien aller, est-il possible d’intervenir? Existe-t-il des arguments pour le convaincre d’aller chercher de l’aide?
B.B.
Oui, absolument. Que l’on soit superviseur ou collègue, la première chose à faire est d’adopter une approche où, sans juger la personne, on lui fait remarquer qu’elle semble avoir des difficultés et qu’il est tout à fait correct de consulter. Le message est le suivant: je me fais du souci pour toi et il y a des instances compétences pour te donner un coup de main psychologique. Une discussion simple, sans avoir peur des mots ni de poser des questions comme: comment vas-tu? Est-ce que je peux t’aider? C’est aussi simple que ça, mais ce n’est pas facile, car on a l’impression qu’on ne se mêle pas de nos affaires. Néanmoins, dans des circonstances comme celles que nous vivons, je pense qu’il faut le faire. Il faut prendre le risque de poser ces questions plus délicates.
V.P.
Prendre le risque de franchir la barrière de la bulle de l’autre? Quitte à se faire dire plus ou moins poliment: mêle-toi de tes affaires mon beau.
B.B.
Absolument. Oui, ça peut arriver. Mais on observe régulièrement que la personne qui s’est fait accrocher va revenir quelque temps plus tard pour remercier celle qui lui a parlé, car cette démarche l’aura fait réfléchir.
V.P.
La santé mentale est un tabou. Pensez-vous que l’actuelle médiatisation de la santé mentale par la santé publique et le pouvoir politique va aider tout un chacun à en parler plus facilement?
B.B.
Je pense que oui. Un effet positif de la pandémie est de contribuer à détabouiser la santé mentale. Les employeurs en parlent et offrent de l’aide plus que jamais. Il y a encore du chemin à faire, car c’est un sujet intime et qu’il est difficile de se montrer vulnérable. Mais je pense qu’après la pandémie, l’intérêt va demeurer et que ce thème va devenir de moins en moins tabou.
V.P.
Que peut-on faire de plus pour détabouiser le sujet? Que peut-faire un employeur pour que le sujet soit abordé plus librement dans son organisation?
B.B.
Ça passe par l’éducation. On voit des employeurs qui vont former leurs gestionnaires à identifier les employés qui pourraient vivre des problématiques. Ils vont les former sur comment approcher un employé qui nous semble en détresse. Il y a des façons de faire, des façons de ne pas faire et ça s’apprend.
Le message est le suivant: je me fais du souci pour toi et il y a des instances compétences pour te donner un coup de main psychologique.
Bernard Blais